subreptice

Ce serait une raison — il en est d’autres — à l’envie subreptice de crever en qui j’ai trouvé, de bonne heure, une très attentionnée, douce et persuasive compagne.

Pierre Bergounioux, L’héritage. Pierre et Gabriel Bergounioux, rencontres, les Flohic, p. 72.

David Farreny, 6 août 2003
écorchées

Il y avait les ouvrages de géographie aux couleurs fallacieuses et suaves, les plaines roses et les monts outremer, les départements jaune soufre et les archipels de neige, un traité de mécanique en trois tomes illustré de gravures sur acier, pourvu de dépliants qui s’ouvraient, comme des ailes, sur des steamers en coupe et des locomotives écorchées, un volume d’anthropologie montrant les insulaires des Salomon et les nomades du Kalahari qui nourrissait mes lectures d’évasion, et puis les volumes aux plats ornés d’un buste de la République aux yeux étincelants, de drapeaux, d’astérisques aux branches aiguës, inégales, dorées, représentant des explosions.

Pierre Bergounioux, Le bois du Chapitre, Théodore Balmoral, pp. 21-22.

David Farreny, 21 oct. 2005
agrément

La musique est une pratique occulte de l’arithmétique dans laquelle l’esprit ignore qu’il compte. Car, dans les perceptions confuses ou insensibles, l’esprit fait beaucoup de choses qu’il ne peut remarquer par une aperception distincte. On se tromperait en effet en pensant que rien n’a lieu dans l’âme sans qu’elle sache elle-même qu’elle en est consciente. Donc, même si l’âme n’a pas la sensation qu’elle compte, elle ressent pourtant l’effet de ce calcul insensible, c’est-à-dire l’agrément qui en résulte dans les consonances, le désagrément dans les dissonances. Il naît en effet de l’agrément à partir de nombreuses coïncidences insensibles.

Gottfried Wilhelm Leibniz, lettre à Christian Goldbach, 17 avril 1712.

David Farreny, 8 fév. 2007
sauf

Le public, au fond, c’est comme le peuple dans la démocratie, un « grand animal » difficile à manœuvrer ; il faut s’y prendre tantôt par la ruse, tantôt par la force ; exercer sur lui ce que la vieille rhétorique appelait captation benevolentiae, « l’effort pour se concilier la bienveillance ». Le Castor y répugne, par droiture, par honnêteté, et aussi parce que sa conviction profonde est que la vérité n’a pas à être acceptée ou refusée : la vérité s’impose d’elle-même, et impose par sa nature propre l’adhésion — sauf évidemment à ceux qui sont de « mauvaise volonté » ou de « mauvaise foi ».

Danièle Sallenave, Castor de guerre, Gallimard, p. 484.

Élisabeth Mazeron, 9 juin 2009
obstacle

Aller à la fenêtre. (Ne pas presser le front contre la vitre ; ça se fait à la rigueur dans ces romans de pacotille où l’on s’agite beaucoup ; en vérité le radiateur y fait obstacle, ou aussi la longue et étroite tablette carrelée ; et d’ailleurs la susdite partie de votre anatomie rougit sous la pression et se salit, c’est tout ce qu’on obtient).

Arno Schmidt, « Sortie scolaire », Histoires, Tristram, p. 131.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
garder

Deux notes du Livre de mon bord, de Pierre Reverdy :

« C’est un tour de force incroyable de garder au bout de sa plume, après les détours qu’elle doit faire, la saveur de la sensation. »

« Les sensations sont le combustible du néant. Inutile de les noter, de les embaumer. Elles ne ressuscitent, avec leur sève et leur parfum, que lorsqu’elles ressurgissent on ne sait plus d’où, quand on les avait oubliées – qu’elles sont retordues, transformées, adaptées au moment précis où elles doivent être libérées. Non plus pour être exprimées elles-mêmes, mais pour exprimer. »

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 61.

Cécile Carret, 4 mars 2010
pourquoi

Les étoiles, elles aussi, sont des corps lumineux par eux-mêmes, qui ont pour existence seulement l’abstraction physique de la lumière ; la matière abstraite a précisément cette abstraite identité de la lumière pour existence. C’est là cette réalité punctiforme des étoiles, qui consiste, pour elles, à en rester à cette abstraction ; ce n’est pas dignité, mais indigence, que de ne pas passer au concret ; c’est pourquoi il est absurde d’avoir plus de considération pour les étoiles que pour, par exemple, les plantes. Le Soleil n’est pas encore du concret. La piété veut transporter des hommes, des animaux, des plantes sur le Soleil et sur la Lune ; mais seule la planète peut porter de tels êtres. Des natures qui sont allées dans elles-mêmes, de telles figures concrètes qui se conservent pour elles-mêmes face à l’universel, il n’y en a pas encore sur le Soleil ; dans les étoiles, dans le Soleil, il n’y a de présente que de la matière lumineuse. Le lien du Soleil en tant que moment du système solaire et du Soleil en tant que lumineux par lui-même, c’est qu’il a dans les deux cas la même détermination. Dans la mécanique, le Soleil est la corporéité se rapportant seulement à elle-même, et cette détermination est aussi la détermination physique de l’identité de la manifestation abstraite ; et c’est pourquoi le Soleil luit.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 396.

David Farreny, 28 fév. 2011
éviter

À ma demande, Léone me parle de cette mystérieuse tranquillité qu’aiment les femmes et dans laquelle elles se réfugient volontiers après les tourments de l’amour, ou pour les éviter. Par « tourments de l’amour », j’entends moins l’attente déçue, les tromperies, la douleur surtout d’être abandonnée, que l’inquiétude qu’une femme ne peut manquer d’éprouver sur sa féminité même, inquiétude qu’un homme qui aime les femmes a du mal à concevoir, et doit à chaque fois faire un effort pour se représenter à nouveau. Tant pour lui, chaque femme incarne cette féminité désirée, espérée, ce trésor que chacune semble posséder et avoir le pouvoir d’accorder ou de refuser. Alors qu’en fait, de l’adolescence à l’âge mûr, face à l’éventuel désir des hommes, aucune n’est assurée de l’avoir : soit qu’elle se sente trop pauvrement dotée à cet égard – les autres ont de plus gros seins, une plus belle peau, un savoir-faire qu’elle n’a pas –, soit que le passage du temps menace de l’en déposséder.

Pierre Pachet, Sans amour, Denoël, p. 75.

Cécile Carret, 13 mars 2011
effronterie

Alors que d’habitude je changeais constamment de pas, m’écartais à contretemps, me heurtais, je marchais maintenant avec les autres, et chacun de mes pas, si inhabituelle que fût la densité humaine, trouvait du jeu sur l’asphalte. Enfin je ne trottais ni ne traînais les pieds (comme tous dans les couloirs de l’internat), mais avais ma démarche, avançais en me balançant sur la plante des pieds qui déroulait, sensible, la succession des orteils, du métatarse et du talon, envoyais au passage de petits objets sur le côté, avec le sentiment d’effronterie tranquille qui, je l’éprouvai alors dans le recommencement, avait autrefois caractérisé mon enfance.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 104.

Cécile Carret, 8 sept. 2013
or

Tu peux épingler huit cent sept papillons ; mais pas le vol d’un seul.

Or j’ai deux paupières.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 73.

Cécile Carret, 10 fév. 2014
propriétés

Vos maisons, vos jardins, vos propriétés… vôtres tout autant que miennes par la vitre du train à grande vitesse.

Éric Chevillard, « samedi 10 mai 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014

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